mercredi 5 septembre 2018

Transhumance estivale


Au guidon de ma belle, j'étais résolu à vivre quelque chose de différent des sorties que je faisais habituellement dans mes chères Pyrénées ou sur la Côte Basque. Certes ma région n'a, et de loin, pas livré tous ses secrets ni ses charmes, mais l'envie d'aller plus loin m'avais progressivement pris.
Aussi, les vacances familiales à destination de la Lozère était pour moi l'occasion de vivre cette nouvelle expérience. Je décidai donc de prendre la route pour rejoindre mes proches par des détours savamment choisis en Dordogne, Lot, Aveyron, sud Cantal et Haute-Lozère. 
Ce mercredi 15 août, le départ était lancé.
La journée s'annonçait couverte et le ciel n'a pas menti à sa promesse puisque les nuages étaient bien accrochés tandis que je pris à la route pour ce petit périple dans la haute Aquitaine, à destination du Périgord, la première étape de mon trip.
Je m'étais vêtu en conséquence : collants de ski et pulls sous mon cuir et je ne l'ai d'ailleurs pas regretté.
En cette heure matinale, les vallées et routes en sous-bois était plongées dans l'obscurité, mais rapidement je vis les premières lueurs du jour alors que j'abordai les grandes lignes droites entre Garlin et Aire sur l'Adour.
Je traversai ensuite les villages du Gers et du Lot et Garonne, Nogaro, Eauze, Condom..., dans la douce lumière du matin, encore plongés dans un profond sommeil.
Puis halte à Roquefort à proximité d'Agen pour une petite pause, rapidement rejoint par deux lévriers mi-curieux mi-craintifs et amateurs de mes gâteaux.
Depuis Agen, je pris alors la route de Bergerac puis du Bugue, par une petite route au creux d'une vallée étroite et sinueuse.
Quel sentiment de liberté quand on peut partir loin de chez soi en transportant son toit et tout le nécessaire de la vie quotidienne. On roule tout son saoul, tout imprégné des merveilles vécues, puis on se pose pour la nuit. On recréé chaque soir son petit monde, laissant derrière soi quelques traces de notre passage, que les jours suivants se chargeront d'effacer. Une vraie liberté, pas celle à mon sens de ces énormes campings-car tous plus imposants les uns que les autres que je croise sur les routes. Leurs occupants pensant sans doute pouvoir vivre un vrai dépaysement en étant équipés d'une TV et de leur four à chaleur tournante...
Aussi, c'est à proximité du Bugue que je fis escale dans ma famille et ne reprendrai la route que le surlendemain, par un temps couvert mais doux.
Depuis là, je longeai la Vallée de la Dordogne, en traversant un chapelet de petits villages et hauts lieux du tourisme de masse dont regorge la région, Saint Cyprien, Château de Milande, Château de Castelnaud-La Chapelle, Beynac, La Roque Gageac, Domme..
En cette seconde quinzaine d'août, le tourisme s'apparente toujours à un flot impétueux. La région sait particulièrement bien attirer les visiteurs, trop à mon goût, au risque de transformer les villages aux ressources historiques indéniables, en parc d'attraction. Tout ce qui est présenté comme des richesses historiques, est figé et sans âme.
En quittant cette vallée encombrée pour grimper sur le Grand Causse du Lot, je changeai d'atmosphère et atteignis un monde de calcaire, de douce verdure et de vastes étendues paisibles.
Le regard se porte loin et l'esprit s'apaise dans le silence de ces landes intimes. Les routes sont bordées de murets en pierre sèche, signe d'une activité humaine qui se fond dans les paysages environnants. Chaque vallon est une invitation à rouler lentement pour m'imprégner de l'instant.
Ici le charme des villages opère si l'on met de côté les grands sites comme Rocamadour qui concentre toute l'attention des visiteurs.

J'y passai d'ailleurs et m'y arrêtai. Le temps de consulter ma carte routière, je fus accosté par une jeune femme Autrichienne dont le regard à été accroché par ma monture. Nous discutâmes quelques minutes avant de reprendre la route en direction de Figeac.

Depuis là, je me dirigeai vers la vallée de l'Aveyron et me pris un bel orage à Decazeville avant de m'abriter tant bien que mal sous un chêne.
A la faveur d'une accalmie, je poursuivis ma route vers Entraygues et les Gorges de la Truyère où j'espérai trouver un lieu de bivouac et faire un feu pour sécher mes vêtements trempés. Ce ne sera pas chose aisée car la vallée est profonde et n'offre pas de possibilité de s'installer. Je décidai donc de m'élever et pris une route grimpant et serpentant en imaginant qu'elle me mène sur les hauts pâturages que j'entrevis depuis la vallée.

Ayant gagné ces hauts plateaux, un panorama d'immenses pâturages s'offrit à mes yeux. L'endroit ne se prêtait manifestement pas au bivouac. Je pressentai des difficultés à trouver un endroit à l'abri du regard.
C'était une gageure de chercher à bivouaquer dans un environnement où l'homme est partout et où le moindre mètre carré est consacré à l'élevage. Pourtant, en sillonnant les petites routes enchanteresses, baignées d'une douce lumière filtrante d'après orage, j'aperçevai un petit chemin herbeux entre deux champs investis par des troupeaux de vaches.
J'entrepris de l'emprunter sans certitude de pouvoir aller très loin, ma monture n'étant pas un trail alors que la piste devenait de plus en plus chaotique, avec ses ornières et sa caillasse.
Cette piste se révèla salutaire puisqu'au bout de 200 mètres je fus conduit finalement dans un pré désert et sans autre accès. L'endroit était idéal pour y passer la nuit, sans risque d'être vu.

Je pensai pouvoir bivouaquer sous les arbres sans avoir à planter ma tente d'autant que le ciel semblait vouloir revenir à plus de clémence. Les cieux m'ont même gratifié d'un magnifique coucher de soleil. J'allumai donc un feu pour faire sécher mes affaires, mais c'était sans compter sur les sauts d'humeur de Dame Nature qui m'infligea un nouvel orage, aussi dru que le premier et qui m'obligea, en toute hâte, à dresser ma tente et de m'y réfugier en attendant une accalmie.
C'est dans ces moments, dans la simplicité de ce gîte improvisé, que chaque chose prend une valeur singulière. Après une journée remplie des beautés vécues, les flammes qui vous réchauffent, les quelques humbles denrées qui vous nourrissent et le couvert de votre toit de fortune, tout ceci rassérène l'esprit bien plus qu'un quatre étoiles.
Au coin du feu que je parvins à ranimer, je commencer à coucher sur papier mes impressions de la journée.
Le lendemain, réveil à 7 heures dans une atmosphère d'automne après une nuit de tintamarre à cause de la pluie battante sur la toile de ma tente. Je m'interrogeai d'ailleurs à l'état du chemin que j'allais être obligé de reprendre pour regagner la route et craignais qu'il ne soit gorgé d'eau et que les ornières ne se soient transformées en bourbiers. Il n'en fut rien et je pu reprendre ma route après des préparatifs rapides, alors qu'un brouillard épais m'enveloppait.
Les brumes se dissipèrent peu à peu. Il régnait en ce lieu et en cet instant une atmosphère de premier matin du monde.
Tout en sillonnant ces petites routes, je guettai le moment où le soleil allait percer ce couvercle de brouillard. Je tournai et virai dans la campagne paisible pour trouver un point de vue à immortaliser avant de redescendre dans la vallée pour reprendre ma route vers Entraygues.
Dans cette vallée encaissée et humide, je fis halte pour consulter ma carte lorsque je vis soudain passer en sens inverse une bande de joyeux drilles le sourire jusqu'aux oreilles chevauchant des mobylettes tout moteurs bourdonnants.

Après Entraygues, où je fis une pause café, je poursuivis ma route dans les Gorges de la Truyère qui, à ma grande déception, n'offrent que peu de dégagements et de points de vue sur la rivière.
Je décidai de prendre la route de l'Aubrac, en bifurquant vers Saint Amans des Cots.
La route serpenta de manière abruptes à travers une forêt de châtaigners avant d'atteindre un plateau qui ouvrait le regard.
L'immensité de ce plateau était impressionnante. Le regard s'y perdait. Ma monture enroulait cette route qui semblait interminable. Chaque virage offrait un paysage plus beau que le précédent. Pour autant, la fraîcheur rendait l'avancée de plus en plus inconfortable et m'obligea à faire un arrêt le temps de passer un collant de ski et une épaisseur supplémentaire de pull.
L'odorat n'est d'ailleurs pas en reste puisque les bruyères et genêts, partout présents sur ces landes, exhalaient un parfum presque entêtant. En passant en Lozère, le plateau arborait ces gros blocs de granit comme posés négligemment dans la prairie.
Ces étendues mériteraient qu'on s'y arrête, qu'on les sillonne de long en large, qu'on en visite ses villages et hameaux, mais le temps me manquait et me suis contenté de les traverser en direction de Marvejols, porte des Cévennes.

Puis, en descendant vers Marvejols, les températures gagnèrent quelques degrés et les paysages se firent plus méditerranéens avec des châtaigniers et des chênes verts.
La route qui me conduisait vers Saint Enimie était une vraie merveille par ses paysages et par le plaisir de conduire au guidon de ma monture. Tout au long de ce trip solitaire, ma Bullet s'est révélée être un parfait compagnon de voyage, forte en sensations de pilotage, un comportement routier sans faille, agile et confortable. Sur ce petit cheval, les sensations sont à fleur de peau, émotions simples et authentiques sans fioriture ni superflu. A l'image de ce j'aurai vécu jusqu'ici, l'arrivée dans les Gorges du Tarn était une splendeur et ressenti comme l'apothéose d'un superbe voyage.
C'était le terme de mon road trip en solo, périple que je poursuivis en famille dans les jours suivants.
La région m'offrit d'autres occasions émerveillement.


Les gorges du Tarn donne accès à une quantité de magnifiques sites naturels particulièrement préservés, tels que le Causse Méjean. Le contemplatif ou le marcheur en quête d'intétiorité saura apprécier la sobriété de ses reliefs et la solitude de ses étendues. Cette austérité fait fuir le monde.

A quelques encablures vers le nord-est, la Lozère garde l'un de ses plus beau joyaux, le mont Finiels aux couleurs Écossaises. Austérité et profondeur sont les mots qui me viennent à l'esprit lorsqu'on rend visite à ces montagnes vallonnées. Un air du bout du monde, un monde presque oublié des hommes tant on ressent la rudesse de ces reliefs et de sa végétation. Nul mont orgueilleux ni lac miroitant venant poindre à l'horizon. Les routes s'emprunte ici avec une sorte de recueillement car la beauté ne s'y révèle que dans le silence, les parfums et les couleurs.
La descente se fera par le versant nord, beaucoup moins accueillant que l'autre versant (Pont de Montvert) et le retour se fera par le château de Tournel puis le Causse de Sauveterre.
 
Le lendemain, départ pour l'Albigeois par Millau et Saint Affrique. Voilà un équipage des plus insolite. Une voiture familiale chargée à bloc et une moto hors d'âge qui la précède comme pour lui ouvrir la route. C'est ainsi que nous fîmes route vers le sud-ouest.
La région d'Albi n'offrait pas de paysages attrayant, si ce n'est en remontant vers le Tarn et Garonne ou en descendant vers les Montagnes Noires. La ville d'Albi en revanche, dont les couleurs sont typiques de la région, est particulièrement belle. Sa cathédrale vaut largement ce détour. Cette cathédrale, qui n'invite certes pas au même recueillement d'une petite chapelle isolée, est une merveille architecturale et artistique. L'apaisement de l'âme, se sera pour plus tard, dans les petits prieurés aux murs nus.
Puis sur le chemin du retour vers Cahors, escales par Cordes sur Ciel, un magnifique village médiéval, Castelnau de Lévis, Saint Antonin Noble Val et Caylus. .


Enfin depuis Cahors, direction le Lot et Garonne pour une visite du Chateau de Bonnaguil, près de Fumel.
Retour au bercail après 8 départements traversés et 1600 kms parcourus au guidon de ma Belle. Une belle expérience personnelle qui en appellera d'autres sur nos routes de France et d'ailleurs. 
Ce voyage aux allures incongrues préfigure je pense mes futures transhumances estivales, la vie n'offrant généralement que peu de moyen de faire un road trip en moto. Peut-être la Bretagne l'an prochain, ce qui donnera l'occasion de traverser la France. De joyeuses découvertes et rencontres en perspectives sur le chemin!

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