lundi 9 décembre 2019

Le grand tournant

décembre 09, 2019 4
J'affectionne particulièrement les virages et les bifurcations. Ils impriment un rythme et un mouvement. Quoi de plus lignifiant qu'une route rectiligne? On s'y laisse bercer pour s'enfermer dans une routine. Le virage c'est le basculement, le déséquilibre maîtrisé, la trajectoire anticipée. C'est la vie qui s'écoule. 
Sur nos engins à deux roues, nous sommes comme ces cosaques qui sillonnent les steppes à dos de cheval et faucon au point. Les vastes étendues s'offrent à nous. Ces espaces, avant d'être géographiques, sont ces espaces intérieurs de liberté retrouvée. Espaces bien plus vastes que notre monde et plus âprement difficile à conquérir.
Ma vie de jeune motard, à l'image de ma vie d'homme, est éprise de ce mouvement et de ce changement de rythme. 
Ma conversion au monde de la moto fut déjà un grand pas, un basculement littéral dans un autre monde. Cette entrée dans l'inconnu était une initiation à la liberté. 
Depuis que je suis motard je ne suis plus tout à fait moi-même, où plutôt je le suis plus pleinement qu'avant. Avec la moto, j'ai trouvé mon véhicule, pas le simple moyen de transport, mais le moyen de voyager, même à deux pas de chez moi. La moto me donne de vivre pleinement. 
En cela, la moto n'est qu'un outil, pas un simple objet que je contemple. Elle n'est pas une fin en soi. Je n'ai d'attachement que pour ce qu'elle me procure et ce qu'elle représente. 
Depuis cette rencontre avec la moto, j'ai changé à mesure que cet engin est entré dans chacun de mes interstices. 
La rencontre s'était matérialisée dans cette Bullet qui nous est chère, monture de choix reconnaissable d'entre toutes car tout la différencie des autres, à commencer par son charme. A son guidon, on sent un engin d'exception qui procure des sensations uniques. Loin des performances et de la surenchère technologique de notre temps.

Je l'ai choisie, à moins que ce soit elle qui m'ait charmé, pour cette qualité première. Je voulais rouler sur un engin simple, ne serait-ce que pour apprendre à rouler et savourer les petites routes de ma région. La machine a fait largement son office. Nous avons vécu de grande choses ensemble. Elles sont belles, et encore émouvantes, ces heures passées à son guidon.
J'ai encore devant les yeux, ces paysages majestueux et ces virons savoureux de mes Pyrénées. Je vois encore le sourire de ceux que nous avons croisés sur notre chemin. J'entends encore le grondement de gros félin retentissant dans les ruelles des villages de montagne.
Bien plus qu'une machine, elle s'est révélée être un véritable compagnon de route. 
Il faut être motard pour ressentir cela et motard je le suis, je peux l'affirmer avec fierté. Non pas cette fierté Gauloise du motard qui rince la poignée ou qui se pavane au guidon de sa grosse cylindrée.
Les motard de cette trempe, on ne les croise que par beau temps et dans les centre-villes.
J'ai la fierté de cet artisan après un travail bien accompli. Je ressens cela quand au fil des jours, été comme hiver, parfois à la pique du jour jusque tard dans la nuit, je sillonne les routes à son guidon. J'ai cette fierté de vivre la moto par tous les temps, en traversant tous les inconforts, car être à son guidon suffit à ma joie.


J'ai donc fait mes armes avec la moto avec cette merveilleuse machine mais depuis la genèse de cette passion, comme je le disais, la moto a pris de plus en plus de place en s'intégrant à ma vie de tous les jours. Je me rend au travail à moto car c'est devenu le moyen le plus simple et le plus naturel.
Or, la vie est mouvement et changement parfois. Ce que l'on tenait pour éternel ne l'est plus ou l'est de moins en moins. Se convaincre du contraire, c'est comme rouler sur une ligne droite en s'interdisant d'emprunter les bifurcations qui se présentent.
Il faut reconnaître qu'au fil du temps, ses imperfections et l'inconfort ont pris le pas sur les qualités que je lui prêtais jusqu'alors.
Et puis vint alors le moment où je devins infidèle, en premier lieu par la pensée en imaginant que ma vie de motard pouvait se poursuivre sur une autre monture.
Jusqu'au jour où je passai à l'acte en essayant d'autre engins.
Tout ceci faisait manifestement écho à une envie d'autre chose, une recherche d'un nouvel élan intérieur, à une autre expérience dans ma vie de motard.
Tout ceci m'a conduit à cela, résolu intérieurement à changer, j'ai franchi le pas.
Ma moto a désormais trouvé preneur. Il en prendra possession courant janvier et ma nouvelle monture entrera à ce même moment dans son paddock.
J'aspire à travers cette machine pouvoir voyager loin et par tous chemins car mes chères Pyrénées m'ont lancé trop de défis que je n'ai pu relever.
Une nouvelle page s'ouvre, de nouveaux s'espaces sont en vue. Il n'y a pas de regret à laisser ma belle Bullet derrière, le regret c'est la mort et, pour ma part, je n'aspire qu'à poursuivre ma vie de motard. Il me restera à me faire à ce nouveau gabarit et à cette puissance à moi inédits. Je vais sans aucun doute réapprendre la moto, retrouver mes appuis et mon équilibre sur cet engin plus haut perché et plus impressionnant. Vivre de nouvelle sensations. Un vrai renouveau. Un nouveau tournant.