lundi 9 décembre 2019

Le grand tournant

décembre 09, 2019 4
J'affectionne particulièrement les virages et les bifurcations. Ils impriment un rythme et un mouvement. Quoi de plus lignifiant qu'une route rectiligne? On s'y laisse bercer pour s'enfermer dans une routine. Le virage c'est le basculement, le déséquilibre maîtrisé, la trajectoire anticipée. C'est la vie qui s'écoule. 
Sur nos engins à deux roues, nous sommes comme ces cosaques qui sillonnent les steppes à dos de cheval et faucon au point. Les vastes étendues s'offrent à nous. Ces espaces, avant d'être géographiques, sont ces espaces intérieurs de liberté retrouvée. Espaces bien plus vastes que notre monde et plus âprement difficile à conquérir.
Ma vie de jeune motard, à l'image de ma vie d'homme, est éprise de ce mouvement et de ce changement de rythme. 
Ma conversion au monde de la moto fut déjà un grand pas, un basculement littéral dans un autre monde. Cette entrée dans l'inconnu était une initiation à la liberté. 
Depuis que je suis motard je ne suis plus tout à fait moi-même, où plutôt je le suis plus pleinement qu'avant. Avec la moto, j'ai trouvé mon véhicule, pas le simple moyen de transport, mais le moyen de voyager, même à deux pas de chez moi. La moto me donne de vivre pleinement. 
En cela, la moto n'est qu'un outil, pas un simple objet que je contemple. Elle n'est pas une fin en soi. Je n'ai d'attachement que pour ce qu'elle me procure et ce qu'elle représente. 
Depuis cette rencontre avec la moto, j'ai changé à mesure que cet engin est entré dans chacun de mes interstices. 
La rencontre s'était matérialisée dans cette Bullet qui nous est chère, monture de choix reconnaissable d'entre toutes car tout la différencie des autres, à commencer par son charme. A son guidon, on sent un engin d'exception qui procure des sensations uniques. Loin des performances et de la surenchère technologique de notre temps.

Je l'ai choisie, à moins que ce soit elle qui m'ait charmé, pour cette qualité première. Je voulais rouler sur un engin simple, ne serait-ce que pour apprendre à rouler et savourer les petites routes de ma région. La machine a fait largement son office. Nous avons vécu de grande choses ensemble. Elles sont belles, et encore émouvantes, ces heures passées à son guidon.
J'ai encore devant les yeux, ces paysages majestueux et ces virons savoureux de mes Pyrénées. Je vois encore le sourire de ceux que nous avons croisés sur notre chemin. J'entends encore le grondement de gros félin retentissant dans les ruelles des villages de montagne.
Bien plus qu'une machine, elle s'est révélée être un véritable compagnon de route. 
Il faut être motard pour ressentir cela et motard je le suis, je peux l'affirmer avec fierté. Non pas cette fierté Gauloise du motard qui rince la poignée ou qui se pavane au guidon de sa grosse cylindrée.
Les motard de cette trempe, on ne les croise que par beau temps et dans les centre-villes.
J'ai la fierté de cet artisan après un travail bien accompli. Je ressens cela quand au fil des jours, été comme hiver, parfois à la pique du jour jusque tard dans la nuit, je sillonne les routes à son guidon. J'ai cette fierté de vivre la moto par tous les temps, en traversant tous les inconforts, car être à son guidon suffit à ma joie.


J'ai donc fait mes armes avec la moto avec cette merveilleuse machine mais depuis la genèse de cette passion, comme je le disais, la moto a pris de plus en plus de place en s'intégrant à ma vie de tous les jours. Je me rend au travail à moto car c'est devenu le moyen le plus simple et le plus naturel.
Or, la vie est mouvement et changement parfois. Ce que l'on tenait pour éternel ne l'est plus ou l'est de moins en moins. Se convaincre du contraire, c'est comme rouler sur une ligne droite en s'interdisant d'emprunter les bifurcations qui se présentent.
Il faut reconnaître qu'au fil du temps, ses imperfections et l'inconfort ont pris le pas sur les qualités que je lui prêtais jusqu'alors.
Et puis vint alors le moment où je devins infidèle, en premier lieu par la pensée en imaginant que ma vie de motard pouvait se poursuivre sur une autre monture.
Jusqu'au jour où je passai à l'acte en essayant d'autre engins.
Tout ceci faisait manifestement écho à une envie d'autre chose, une recherche d'un nouvel élan intérieur, à une autre expérience dans ma vie de motard.
Tout ceci m'a conduit à cela, résolu intérieurement à changer, j'ai franchi le pas.
Ma moto a désormais trouvé preneur. Il en prendra possession courant janvier et ma nouvelle monture entrera à ce même moment dans son paddock.
J'aspire à travers cette machine pouvoir voyager loin et par tous chemins car mes chères Pyrénées m'ont lancé trop de défis que je n'ai pu relever.
Une nouvelle page s'ouvre, de nouveaux s'espaces sont en vue. Il n'y a pas de regret à laisser ma belle Bullet derrière, le regret c'est la mort et, pour ma part, je n'aspire qu'à poursuivre ma vie de motard. Il me restera à me faire à ce nouveau gabarit et à cette puissance à moi inédits. Je vais sans aucun doute réapprendre la moto, retrouver mes appuis et mon équilibre sur cet engin plus haut perché et plus impressionnant. Vivre de nouvelle sensations. Un vrai renouveau. Un nouveau tournant.

lundi 28 octobre 2019

Aux confins du Pays-Basque

octobre 28, 2019 1
Ce samedi s'annonçait radieux. Un de ces dernières belles journées d'automne avant les frimas qu'il ne faut pas manquer. Comment résister à l'envie du grand large alors que les Pyrénées ouvrent ses petites routes et ses cols? J'ai beau en avoir parcourues un certain nombre, je suis loin de les connaître tous. Pour cette sorties, j'inaugurai d'ailleurs un nouvel itinéraire, par la Vallée d'Aspe, la Pierre Saint Martin et ses petites routes, avant d'arpenter les lacets d'une route, entre les Gorges de Kakuetta et Larrau, que la carte m'annonçait être un cul de sac. Mais qui sait où débouche un cul de sac?
Au petit matin, par une nuit noir et un ciel parsemé d'étoiles, j'entamai ma route d'approche par Oloron Saint Marie. Il faisait frisquet et il me tardait que le soleil pointe le bout de son nez. Au bout d'une heure trente, la Vallée d'Aspe ouvrait ses portes et les premiers rayons du soleil vinrent chatouiller les cimes environnantes.
En cette basse saison et ses heures matinales, on ne croise pas âme qui vive.
Dans cette vallée profonde, la fraîcheur est saisissante et à mesure de l'ascension l'air se réchauffe.
Le soleil rasant donne un magnifique modelé au relief. Le paysage est enchanteur, après chaque virage, le panorama est saisissant.
Après la Pierre Saint Martin, la route descend vers Saint Engrace et ses pâturages, puis après les Gorges de Kakuetta, je prends un petit pont enjambant un bras de rivière. C'était ma route vers mon cul de sac. J'étais impatient de savoir ce qu'il y a avait au bout.
Ma seule crainte était de traverser des fermes généralement gardées par les traditionnels Patous, les chiens de bergers de plus de 70 kg de muscle. Sinon agressifs, ces colosses des montagnes font simplement leur travail de gardien du troupeau. Au cours de mes balades en rase campagne, il m'est déjà arrivé d'être coursé par pareille bestiole. En réalité, il n'en fut rien. La route serpentait à travers bois puis émergea des futaie vers des pâturages d'altitude.
Comme la carte l'avait l'indiqué, au bout de quelques kilomètres, la route s'arrêta et la piste prit le relais.
C'était une piste carrossable avec des passages assez caillouteux et par moment bourbeux qu'il m'a fallu négocier au prix de glissades et même d'une chute dans un fossé, sans gravité pour moi comme pour la moto!
Sur cette certaines lignes droite très roulante, la prudence est de mise car la piste et étroite et bordée d'un précipice.
Malgré des pneumatiques pas adaptées, ma monture s'est montrée agile et agréable à conduire. C'était pour elle comme pour moi, un véritable baptême du feu puisque je ne m'étais jusqu'alors jamais aventuré en dehors des routes.
Pour ma monture, c'était comme un retour à ses racines Indiennes. C'était donc une occasion de tester ses aptitudes à rouler sur un terrain irrégulier.




La piste continuait à longer le relief de cette magnifique vallée. J'espérai qu'elle rejoigne Iraty par un petit bout de piste. En fait, ce bout de chemin abouti à une corniche, sans issue.
Je rebroussai alors chemin et pris le chemin du retour, l'heure étant tardive et la route encore longue.



jeudi 15 août 2019

Aller (et retour) au Col du Tourmalet

août 15, 2019 0
Hier, c'était mon premier jour de vacances et je souhaitais la vivre en beauté en faisant un tour du côté du Tourmalet.
C'était également l'occasion de tester ma bécane après l'installation du pignon de sortie de boite de 19 dents, histoire d'apprécier cette modification sur des routes de montagne.
Après un matin ensoleillé mais frisquet, digne d'un mois d'octobre, je fais escale chez Paul et Alex mes mécanos préférés à Bagnères de Bigorres (Moto Passion 65 pour ceux qui ne le savent pas encore 😅), pour un petit bonjour avant d'entamer l'ascension du fameux col.
Ce versant par Saint Marie de Campan et la Mongie n'est pas le plus beau, loin s'en faut, à cause des aménagements et infrastructures dédiés au sport d'hiver...
De plus, en ce mois d'août, les routes sont très chargées, cyclistes, voitures et motos encombrent ces virons au point qu'il est difficile de profiter du paysage.
L'arrivée aux abords du col donne lieu à la traditionnelle pose aux photographes en embuscade sur le bord de la route.😎
Le col est très encombré de voitures et de cyclistes exténués mais heureux. Je ne m'y attarderai pas et tente de trouver un coin tranquille pour un picnic.
Je trouverai refuge quelques kilomètre plus loin après Barège dans un petit village (Sers où j'avais déjà pris des clichés lors d'une précédente virée.

Une pause que j'ai appréciée avant de tenter de repartir au guidon de ma belle.
C'était sans compter sur le sélecteur de vitesse qui se déloge du carter...😤🔥 💥👎🏼
Bloqué sur le premier rapport, la seule solution qui se présente est d'aller à nouveau rendre visite à Paul.....soit à 40 kms avec un col à franchir.....à 25 kms ! 🐢🐪
Séquence Laurence d'Arabie à dos de chameau.
Autant dire que le style de ma moto et le peu de dignité qui me reste en ont pris un coup dans l'aile!
L'ascension est longue et laborieuse sous le regard interrogateur des marcheurs et des cyclistes que je double (quand même!), mais qui me doubleront dans la descente...("ça roule pas vite ces vieilles motos..."). Paul observera avec humour que cette expérience ne lui aura pas fait une bonne pub!
A l'arriver au col, je prends une seconde salve de photos, le mode "sport" étant superflu, les photographes pouvaient opter pour la pose longue sans risque de flou de bougé!
Après 1 heure et demi pour faire ces 40 kms, j'arrive au garage qui s'active comme une ruche.
Sans trainer, il prend en charge ma bécane et après avoir démonté le carter, il découvre le coupable, l'extrémité interne du sélecteur est rompue (pièce défectueuse), ce qui explique le bruit insolite que je pouvais entendre auparavant.
Avec les congés du fournisseur, la moto est immobilisée pour le reste du mois d'août.
Adieu, veaux, vaches et cochons, moi qui projetais d'emprunter quelques jours plus tard les routes d'Espagne à son guidon.
Le retour se fera en taxi la queue entre les jambes si je peux dire.
En conclusion, pour en revenir au pignon, le plaisir est intact en montagne et la moto est beaucoup plus agréable dans les grandes lignes droites. Une moto plus polyvalente et homogène. Elle s'acomode aisément d'un 100-110 sans souffrir, même si ma vitesse de croisière reste un bon 80 km/h.
Pour l'heure, je me sens tout nu sans ma monture...

mercredi 24 juillet 2019

Sur la route de la soie

juillet 24, 2019 3
C’est l’été, la canicule s’abat sur notre pays. Pour vous rafraichir, je vous propose de partir en voyage au moyen orient dans les vastes étendues balayées par les vents et loin de toute civilisation.
Fermez les yeux et imaginez un long, très long voyage à travers l'Europe et au delà, à travers forêts, plaines et cols. Un périple fait d'émerveillements et de rencontres de visages nouveaux et de cultures différentes. 
Pour cela nous avons notre guide, Antoine, qui a eu l’audace de partir de sa Belgique natale pour le Kazakhstan au guidon de sa Royale Enfield Classic 500.

Son magnifique périple est une occasion pour moi de l’interviewer, histoire de nourrir mon imaginaire et le vôtre par la même occasion. 
Qui n’a pas eu également ce désir de partir loin des sentiers battus, avec pour seuls bagages ce que notre moto peut transporter ?
Ce jeune homme a eu ce brin de folie de le faire car il s’est dit, entre mon plat pays et les steppes Tartars il n’y qu’un pas ou presque, alors pourquoi ne pas le faire ?
Son permis moto en poche, il a acheté sa Bullet et a entrepris de se former en mécanique moto pour parer d’éventuelles avaries techniques, apprentissage qui a duré un an et qui lui a permis d’acquérir des bases solides.
La suite, il va nous la raconter.

Qu’est ce qui a déclenché ton envie de passer le permis moto et de te lancer dans cette longue aventure ?
Une obsession. Si un mot devait résumer l’idée de base de ce projet, c’est bien celui-ci. Une simple semaine de voyage à moto au Sénégal il y a huit ans aura suffi à semer les graines de ce projet. Deux ans plus tard, quelques expéditions en deux roues au Cambodge permettront d’alimenter cette graine. Six ans après le Sénégal, c’est l’éclosion : l’idée est toujours là et elle se spécifie : Je veux effectuer un long voyage à moto. Je n’y connais rien à ce moment, pas de permis, pas de moto, pas de compétence mécanique. Je décide de me lancer dans l’aventure afin de réaliser cette obsession, de partir de rien et d’arriver à un voyage de dingue : De A à Z.

Pour la Bullet pour faire ce voyage ? Tu aurais pu choisir une 1200 GS ? ( ;-))
Moto à la silhouette de rêve, tout droit sortie d’un film d’aventure, la Royal Enfield est LA moto qui nourrit cette obsession de voyage depuis des années. Aucune autre partenaire de ride ne pourrait prétendre à une telle dégaine. En plus de son allure hors norme, elle est fiable et capable de passer partout. Lors de mon entrée dans le monde de la moto, il y a presque deux ans de cela maintenant, c’était la seule moto qui m’attirait. Je détestais toutes les autres, excepté celles qui avaient également un look rétro. Maintenant, avec l’expérience, mes goûts changent et s’ouvrent : J’aimerais acquérir une enduro comme la Suzuki DR quand je rentre, car même si Palinka (le petit nom de ma bécane) est capable de passer presque partout, je me rends compte des possibilités en off-road bien plus grande qu’offre une enduro. Néanmoins, je ne regrette en rien mon choix : C’était le seul possible pour moi lorsque j’ai démarré, et j’adore voir la tête des gens lorsqu’ils réalisent que je viens de Belgique avec cette bécane, au look bien plus humble que les conquistadors de GS...

Quel était ton objectif dans ce voyage ?
Il s’agissait de réaliser cette obsession et ce rêve de voyage à moto qui me tiraillait depuis de nombreuses années, et également de prendre le temps de me retrouver. Pour avoir déjà voyager seul 4 mois au Sénégal et 6 semaines au Cambodge, je trouve que c’est le meilleur moyen de se retrouver complètement : être seul face à de nouvelles personnes, sans aucune contrainte sociale antérieure, permet d’être le vrai soi. J’avais l’impression de m’être un peu égaré.

Pourquoi cet itinéraire et cette destination ? qu’y recherchais-tu ?
Au départ je voulais atteindre la Mongolie, découvrir le middle-east, effectuer un aller-retour au départ de Bruxelles et partir près d’un an. C’était les quatre balises de départ de mon voyage. Ensuite vient la question des visas pour voir ce qui est faisable ou pas. A cause de soucis en vue de l’obtention du visa Russe, je projetai enfin d'aller jusqu’au Kazakhstan et non en Mongolie. J’étais d’abord un peu déçu, puis je me suis rendu compte que l’important, c’était simplement d’être sur la route dans des pays inconnus, et que rouler jusqu’au Kazakhstan, c’était déjà pas si mal pour un premier voyage 😅. Enfin vient la question des climats : Je me suis renseigné pour ne pas passer en-dessous des 7-8 degrés de moyenne, afin que la conduite de la moto reste un plaisir. C’est pour cette raison que je suis resté trois mois en Iran : il faisait trop froid avant (Géorgie, Azerbaïdjan,...) et après (Turkménistan, Ouzbékistan, ...).

Combien de temps l’as-tu prépares-tu ? (administratifs, techniques,…).
J’ai passé une première année à préparer le voyage en rêvant et m’informant un peu vu que j’étais novice. Ensuite j’ai accéléré les préparatifs lors de la deuxième année : permis moto, achat de la Royal, cours de mécanique, travail dans un garage lors de mes temps libre, recherche de sponsors, planification de l’itinéraire et des visas, sélection du matériel, etc. J’ai aussi mis le plus d’argent de côté possible durant ces deux années.

Comment l’as-tu préparé (livres, internet ?)
Au niveau mécanique, j’ai suivi des cours d’apprenti mécanicien deux soirs par semaine. La formation est en trois ans, je n’ai suivi qu’une année afin d’avoir quelques bases. De plus, je suis enseignant, donc tous les mercredis après-midi et tous les samedis, j’ai travaillé comme stagiaire dans le garage Locotrans à Waterloo, le plus grand distributeur d’Enfield du Benelux, même si ça reste un garage familiale.

Quelles sont les difficultés et risques que tu avais recensés ?
Ma plus grande peur était le froid, qui m’empêcherait de profiter de mon voyage, ainsi que la sécurité en cas d’accident. J’ai donc sélectionné avec soin mon matériel pour cela: bottes adventure, chaussettes d’hiver, deux sous-pantalon dont un windstopper, t-shirt longue manche en laine mérino, pull wind stopper, un polard quelconque, un vrai bon polard Pantagonia, pantalon et veste adventure RST, survêtement de pluie, casque modulable Scorpion, manchons Tucano Urbano, gants d’été et d’hiver RST.

Comment envisageais-tu de régler les problèmes techniques (pannes) qui pourraient survenir ? (problème de pièce et d’isolement parfois).
Grâce à Locotrans et à mes cours de mécanique, je peux faire face à de petits problèmes mécaniques par moi-même (le plus fréquent : un rayon qui casse). Quand le problème dépasse les compétences, j’ai la chance d’être soutenu par Locotrans, et de pouvoir contacter le gérant, Marco, qui m’aide à diagnostiquer la panne et à y faire face si j’en suis incapable seul. Pour ce qui est des pièces, Marco m’a aidé à sélectionner celles dont je risquais d’avoir besoin. Néanmoins, je ne pouvais pas prendre avec moi une deuxième moto en pièces détachées. J’ai donc parfois dû trouver une pièce équivalente sur la route, ou alors en faire réparer. Enfin, j’ai eu la chance d’avoir quelques visites lors de mon voyage. J’ai profité de la venue de mes proches pour faire le ravitaillement de ce qui m’était nécessaire.

Les difficultés que tu avais pressenties se sont-elles réalisées ? Etait-ce aussi (ou plus) difficile que prévu ?
Pour ce qui est du froid, mon équipement m’a permis d’y faire face (enfin, le dernier test arrive dans les jours à venir : la route de Pamir, avec des cols jusqu’à 4600 m 🥶). Pour la sécurité, mon équipement m’a généralement protégé. Ma plus grosse chute en Slovénie m’a causé une double entorse de la cheville : mon pied s’est fait prendre par la moto, donc malgré la botte, ça a fait mal ! 10 jours de repos dans un camping pour récupérer.
Enfin, j’ai dû faire face à une difficulté dont on m’avait parlé mais à laquelle je ne prêtais pas vraiment attention : le poids de la moto. Il n’y a qu’en faisant l’expérience que je me suis rendu compte de l’handicap que c’était : plus de risque de casse (notamment les rayons) ainsi que de chute, surtout en off-road. J’ai donc dû alléger la moto en cours de route. Heureusement pour moi, je passais d’abord voir différents amis logeant en France, j’ai pu leur donné tout le superflu. J’ai suivi cette règle pour ma sélection : ne conserver que ce qui allait sûrement me servir, et balancer tout ce qui allait peut-être me servir. La nuance est fine mais bien utile.

Comment se sent-on seul sur sa Bullet, loin de nos repères et surtout parfois seul au milieu de nul part?
On s’y sent bien sur sa Bullet ! On est seul face à soi-même, et les idées vont et viennent. Je pense souvent à Tesson qui dit dans son livre Berezina (que je conseille à tous d’ailleurs) que le casque de moto, c’est un peu comme une bulle fermée dans lesquelles les idées tournent. Concernant la solitude, elle était très présente en Europe pour deux raisons : les premières semaines et mois sont forcément les plus durs : notre quotidien, nos habitudes et nos proches nous manquent. Et surtout c’est l’Europe : la plupart des gens ne pensent pas à aller vers l’autre, les contacts humains sont donc limités. De plus, mon anglais n’était pas terrible à ce moment, et j’étais en plein période de vacances scolaires, donc un touriste parmi d’autres. Enfin, en Europe le prix des logements et des campings sont souvent très chers. J’ai donc fait beaucoup de camping sauvage à ce moment. C’est cool l’idée de la moto et la tente en plein nature. Mais quand la seule phrase que tu as prononcée de ta journée était « hello, can i have a sandwich please ? », c’est tout de suite moins évident ! Mais cette solitude est vite passée avec le temps, et surtout en sortant d’Europe : les gens sont bien plus attirés par toi et les contacts sociaux sont bien plus spontanés.




As-tu vécu un vrai dépaysement ?
Étonnamment, on s’habitue très vite au dépaysement. Certaines scènes qui me marquaient me semblent tout à fait quotidiennes maintenant. Les moments où je me sens le plus dépaysé, c’est quand j’ai des nouvelles de la vie à Bruxelles, dont je me sens de moins en moins connecté et de plus en plus éloigné. Néanmoins, chaque jour amène toujours sont petit lot de perles ou de paysage à couper le souffle. Pour le moment, au Tadjikistan, j’en prends plein la vue et j’ai parfois la chair de poule en roulant.

Qu’est ce qui t’as surpris le plus (à ton sujet ou au sujet du voyage en général) ?
La bonté, la générosité et l’aide des gens sur la route. Je ne sais pas où ces valeurs ce sont envolées dans notre société, peut-être dans quelques billets ou dans un confort trop grand qui induit la peur de le perdre, et donc la peur de l’autre.
A ce propos, je réalise que j’apprécie vivre avec peu, moi qui d’ordinaire accumule les affaires. Trois t-shirts, trois slips, un moyen de locomotion et un toit sont suffisants ! J’espère conserver cet état d’esprit une fois de retour en Europe.
Je me surprends également à me dire qu’au final, le monde n’est pas si grand et que le connaître permet de revoir ses cadres de pensée. J’aime beaucoup cette phrase du rappeur Youssoupha, dans laquelle je me retrouve : « Quand on voyage, le monde devient plus petit alors il fait moins peur ».

As-tu eu peur pour ta sécurité ou du moins peur de ne pas y arriver ?
J’ai eu peur deux secondes lors de ma chute en Slovénie. Lors de la troisième seconde, je pensais déjà plus à la moto qu’à moi-même, réalisant que si elle était morte, mon voyage s’arrêtait déjà.
Au niveau de la sécurité, nos peurs ne sont que vaines. Avec nos pensées occidentales, nous voyons le danger partout, et les pays « exotiques » comme dangereux. Je prendrai l’exemple de l’Iran : sachant que j’y resterai trois mois, j’ai proposé à quelques amis de me rejoindre. L’un d’entre eux m’a répondu : « En Iran ? Tu es fou ? Je ne veux pas mourir ! ». Après trois mois dans ce pays, j’affirme sans aucun doute que c’est le pays le plus safe que j’ai traversé. J’étais bien plus inquiet pour ma moto en France, en Italie ou en Roumanie qu’en Iran. Les gens sont merveilleux, et viennent t’accoster pour te dire «Welcome to Iran », et puis il reparte sans rien demander. Pour ce qui est du terrorisme, il n’y en a pas spécialement plus qu’en Europe. Oui, il y en a de temps à autre, surtout dans quelques villes du sud. Mais vu la taille de l’Iran et la rareté de ces attentats, il faudrait vraiment un coup de malchance pour en être victime. C’est comme si je ne prenais plus le métro à Bruxelles depuis les attentats.


Parle-nous de tes contacts avec la population locale ? quelles réactions à ton passage?
Depuis la Turquie, les gens sont donc bien plus intéressés par moi et mon voyage. Ils me posent des questions sur la durée et la distance de mon voyage. Sur mon origine et ma religion. Beaucoup d’entre eux me font un signe de la main quand je les croise à moto ou affichent un grand sourire. De même, on me propose souvent de boire un thé (même parfois lors des checkpoint avec la police !), ou venir visiter une maison. Enfin, je ne compte plus le nombre de selfies auxquels j’ai dû me prêter!

En définitive, ce genre de voyage est-il accessible à tous et quelles sont les compétences et qualités requises pour le faire ? (rassure nous)
Définitivement : OUI ! Chacun peut ajuster son voyage afin qu’il lui convienne : au niveau de la durée, du logement, du nombre de pays, ... À ce propos, visiter un ou deux pays à fond peut être parfois plus agréable qu’enchaîner pays après pays. Cela permet de s’imprégner mieux de la culture et de comprendre le pays dans son ensemble. L’Iran où je suis resté trois mois est par exemple mon meilleur souvenir jusqu’à présent. Pour ce qui est des compétences, les plus importantes sont l’ouverture et le sourire. Avec ça, toutes les portes vous sont ouvertes. Vous ne savez pas régler un problème sur votre bécane ? Arrêtez un camion pour la charger et vous trouvez un mécano qui fera le taff. Vous êtes perdu, vous avez faim ou vous ne savez pas où dormir ? Demandez à un passant, il vous indiquera, vous guidera ou peut-être même vous invitera chez lui.

Ce voyage t’a-t-il donné envie d’un autre ? qu’as-tu appris ?
J’ai des milliers d’autres idées en tête ! Maintenant il faudra voir les possibilités. J’ai appris qu’on a trop tendance à dramatiser (moi le premier). A chaque problème sa solution. J’ai ré-appris à me connaître. J’ai ré-appris l’humanité.
Voilà un bel enseignement à tirer de ce fabuleux voyage. A l'entendre, le voyage déconstruit ce qui est ancré en nous et nous amène à reconstruire autre chose. Il faut vivre cet inconfort et sortir de son cadre habituel pour pouvoir l’expérimenter.
Gageons que ce baroudeur a déjà d'autres destinations en tête et que la moto sera son véhicule de prédilection! 

vendredi 8 mars 2019

D'un versant à l'autre

mars 08, 2019 2


Ce week-end-là, je l’avais en point de mire depuis quelques semaines, un peu comme on observe un objet céleste lointain en calculant la trajectoire pour l'atteindre. Toutes les conditions étaient réunies, la fenêtre de lancement s’offrait à moi question météo et accessibilité des cols  pour envisager une longue sortie. 
Sous des faux airs de printemps avant l’heure, mes cimes Pyrénéennes ouvraient leurs routes d'altitude aux quelques mordus de montagnes hivernales, dont je fais partie. J’allais pouvoir admirer la blancheur éclatante des monts environnants tout en sillonnant leurs routes escarpées mais dégagées et profiter de cette douceur hivernale.
La route allait être longue, sinueuse et découpée, de vallées en cols. J’avais pour ambition d’atteindre les portes de l’Andorre le soir même, en prenant la route des cols, au plus près géants.
Ma monture, cette bête de somme qui m’aura transporté par monts et par vaux et par presque tous les temps, aura fort à faire, elle qui passe généralement pour un engin de balade ou tout au plus une moto de collection fraîchement restaurée. 
A mon départ, les montagnes me lancent un défi. Si proches en apparence, leur approche est longue et laborieuse quand on est impatient de s'attaquer à leur flanc. De plus, ce sont des routes que je connais bien pour les emprunter fréquemment, elles sont ces passages obligés par les Vallées de Haute Bigorre.
Aussi, il m’aura bien fallu une heure et demi pour m’engager sur la route du Col d’Aspin sous un soleil resplendissant avant d’atteindre Arreau et son long cortège de voitures sur le départ de leur semaine de sport d’hiver. Cette longue procession de laisse perplexe si l’on considère les vacances comme une occasion de dépaysement.
En ces basses altitudes et ces fortes affluences touristiques, il ne fleure pas bon le grand air montagnard. Ici et en ces périodes tumultueuses, on se croirait plutôt sur un périphérique aux heures de pointe. 
C’est donc sans regret que je prends de l’altitude en direction du Col de Peyresourde et ses méandres et congères à son sommet.
A mesure que j’avance, la fréquentation touristique se fait moins forte. Le temps presse et je perds du temps à trouver mon chemin. Je tourne et vire, m’égare sur une petite route secondaire après le Col du Portillon en tentant de regagner le Col du Portet d’Aspet.

En bref, je flâne, comme à mon habitude, l’appareil photo à portée de main, toujours prêt à un arrêt soudain. Je suis conscient que l’essentiel ne se capture pas sur une image, il se vit, se ressent et s’expérimente. D'ailleurs, on choisit cette moto à dessein. Cet engin est un art de vivre à lui tout seul. 
Cette moto et sa simplicité extrême est un formidable outil qui libère l’homme de ses contraintes. Nous sommes loin des gros trails, ces SUV version deux-roues, qui contre de nombreux agréments maintiennent le motard à son esclavage moderne. Ce besoin qu'ont ces motards d'avoir un avion de chasse en guise de moto.
Je poursuis donc cette route sinueuse et riche en épingles. Cet itinéraire qui est particulièrement recherché à moto n’est pas propices aux longs trajets. J'imagine les routes d'altitude au Ladakh avec ces gués et ses ornières.
Après Saint Giron, alors que le soleil darde ses derniers rayons dorés sur un paysage enchanteur, je prends alors conscience qu’il est encore tôt dans la saison malgré l'allure estivale de cette fin de semaine et que les journées sont encore courtes. Il est temps de presser le pas. Toujours ce temps qui presse, la tyrannie du temps. Dans ses vallons encaissés, l’ambiance passe rapidement du ciel aux abysses de froid, ressenti accentué lorsque on est juché sur un deux-roues.
La fatigue aidant et la fraîcheur arrivant, il me tarde d’atteindre mon hôtel mais la route, depuis Saint Girons et Tarascon-sur-Ariège, est encore longue et pas des plus agréable. Sorte de voie rapide bordée de zones d’activité et de centrales électriques. Des monstres de béton défigurant cette vallée. Ces ouvrages de génie civil sont pourtant indispensables pour rendre ces zones de montagne accessibles. 
En cette fin de journée, encaisse dans ce lieu inhospitalier et alors que la nuit arrive et le froid se fait de plus en plus sentir, je ressens peu à peu cette impression de danger, comme si un instinct primitif prenait le dessus,. L’inquiétude du nourrisson le soir venu. Comme quoi, l’homme n’est pas si loin de la bête.
A ce moment-là, tout un tas de sentiments, de craintes irraisonnées et de pensées absurdes me traverses l’esprit : Vais arriver à trouver mon hôtel, suis-je dans la bonne direction ? Et si je tombais en panne au milieu de nulle part….
A la nuit tombée, je parviens finalement à mon hôtel avec le sentiment d’en avoir fait beaucoup (trop?) aujourd’hui et d’avoir peut-être sous-estimé la distance. Je suis fatigué de cette route mais plein d’appréhension par rapport à la route du retour.
Dans mon logis spartiate et repus d’un repas frugal dans ce petit hôtel quasiment vide, je prends mes quartiers nocturnes.
Le lendemain, un ciel d’un bleu saturé m’invite à reprendre à route via l’Andorre et son chapelet de stations et centre commerciaux,  que je mis plus d’une heure à traverser dans une ambiance glaciale. Il faut dire que la vallées encaissée est austère et le soleil n’a toujours pas montré un bout de ses rayons. Les rues sont animées, de nombreux cars de tourismes les sillonnes chargés de skieurs en direction des pistes.
Après cette route qui me paraît interminable, la Principauté derrière moi, je vire à droite à Adrall via la N-260 qui restera, jusqu’à mon retour en France, ma Route 66, celle qui me mènera vers l’ouest !  Galadriel n’aura pas dénié me suivre…

Cette route aura fait mon émerveillement et déjà quelques kilomètres après ma bifurcation, je prends ma dose de photons en admirant le défilé des montagnes en direction du sud et en tentant de me réchauffer les mains endolories par le froid. Un bain de jouvence alors que temps semble s’arrêter. 
Outre l’ensoleillement sans pareil, les routes Espagnoles et leurs courbes délicatement ciselées et très roulantes faisaient déjà mon bonheur. Ces routes sont des chefs d’œuvre tant elles savent épouser les reliefs et offrir un panorama imprenable.
On y roule et on admire le nez au vent les somptueux paysage et des villages perchés sur des pitons, qui s’offrent à vous.
Le trajet allait donc être beaucoup plus roulant qu’à l’aller.
Tantôt large et longue à vous donner l’impression d’être au beau milieu de l’Utah et tantôt étroite et sauvage dans des piémonts pas fréquentés et perdus au milieu de nulle part. Je savourai chaque lacet avec délice.
C’est cette impression d’espace qui est marquante sans ce sentiment d’écrasement de la roche environnante.  
Et ce soleil qui transfigure tout, élargit les horizons et les espaces! Lumière salvatrice et régénérante. 
Que dire de cette Bullet sur ces longues routes si ce n’est qu’elle est une monture de choix pour celui qui veut voyager dans tous les sens du terme. Un voyage dans l’espace qu’elle vous fait traverser sur sa selle confortable. La distance ne lui fait pas peur car l’histoire témoignera de son étonnante capacité à vous transporter sur les routes les plus difficiles. Elle vous fera également voyager car vous paraîtrez d’un autre âge et généralement la traversée d’un village ne laisse pas inaperçu !
Cette longue distance parcouru me laisse d’ailleurs dire qu’elle pourra aller plus loin, beaucoup plus loin. Mais ceci est une autre histoire.
Cette N-260 me conduira sans encombre jusqu’au Col du Portalet et via Laruns.
Une petite anecdote en descendant ce Col l’esprit hagard après un si long périple. Au détour d’un virage, le moteur tousse et se tait quelques secondes plus tard.  En panne ? Je l’ignore et tente de gagner Laruns pour demander assistance en descendant en roue libre sous le regard étonné des touristes en voitures et des motards dont pas un seul n’aura idée de s’arrêter….Quelques kilomètres plus loin, tentant de ranimer la bête, je m’aperçois que j’avais par inadvertance actionné le coupe-circuit. 
Après une arrivée ravie, une nuit bien méritée s’en est suivie, des images et sensations plein la tête. Le sentiment d’avoir vécu de belle choses et l’envie de repartir !