mercredi 24 juillet 2019

Sur la route de la soie

C’est l’été, la canicule s’abat sur notre pays. Pour vous rafraichir, je vous propose de partir en voyage au moyen orient dans les vastes étendues balayées par les vents et loin de toute civilisation.
Fermez les yeux et imaginez un long, très long voyage à travers l'Europe et au delà, à travers forêts, plaines et cols. Un périple fait d'émerveillements et de rencontres de visages nouveaux et de cultures différentes. 
Pour cela nous avons notre guide, Antoine, qui a eu l’audace de partir de sa Belgique natale pour le Kazakhstan au guidon de sa Royale Enfield Classic 500.

Son magnifique périple est une occasion pour moi de l’interviewer, histoire de nourrir mon imaginaire et le vôtre par la même occasion. 
Qui n’a pas eu également ce désir de partir loin des sentiers battus, avec pour seuls bagages ce que notre moto peut transporter ?
Ce jeune homme a eu ce brin de folie de le faire car il s’est dit, entre mon plat pays et les steppes Tartars il n’y qu’un pas ou presque, alors pourquoi ne pas le faire ?
Son permis moto en poche, il a acheté sa Bullet et a entrepris de se former en mécanique moto pour parer d’éventuelles avaries techniques, apprentissage qui a duré un an et qui lui a permis d’acquérir des bases solides.
La suite, il va nous la raconter.

Qu’est ce qui a déclenché ton envie de passer le permis moto et de te lancer dans cette longue aventure ?
Une obsession. Si un mot devait résumer l’idée de base de ce projet, c’est bien celui-ci. Une simple semaine de voyage à moto au Sénégal il y a huit ans aura suffi à semer les graines de ce projet. Deux ans plus tard, quelques expéditions en deux roues au Cambodge permettront d’alimenter cette graine. Six ans après le Sénégal, c’est l’éclosion : l’idée est toujours là et elle se spécifie : Je veux effectuer un long voyage à moto. Je n’y connais rien à ce moment, pas de permis, pas de moto, pas de compétence mécanique. Je décide de me lancer dans l’aventure afin de réaliser cette obsession, de partir de rien et d’arriver à un voyage de dingue : De A à Z.

Pour la Bullet pour faire ce voyage ? Tu aurais pu choisir une 1200 GS ? ( ;-))
Moto à la silhouette de rêve, tout droit sortie d’un film d’aventure, la Royal Enfield est LA moto qui nourrit cette obsession de voyage depuis des années. Aucune autre partenaire de ride ne pourrait prétendre à une telle dégaine. En plus de son allure hors norme, elle est fiable et capable de passer partout. Lors de mon entrée dans le monde de la moto, il y a presque deux ans de cela maintenant, c’était la seule moto qui m’attirait. Je détestais toutes les autres, excepté celles qui avaient également un look rétro. Maintenant, avec l’expérience, mes goûts changent et s’ouvrent : J’aimerais acquérir une enduro comme la Suzuki DR quand je rentre, car même si Palinka (le petit nom de ma bécane) est capable de passer presque partout, je me rends compte des possibilités en off-road bien plus grande qu’offre une enduro. Néanmoins, je ne regrette en rien mon choix : C’était le seul possible pour moi lorsque j’ai démarré, et j’adore voir la tête des gens lorsqu’ils réalisent que je viens de Belgique avec cette bécane, au look bien plus humble que les conquistadors de GS...

Quel était ton objectif dans ce voyage ?
Il s’agissait de réaliser cette obsession et ce rêve de voyage à moto qui me tiraillait depuis de nombreuses années, et également de prendre le temps de me retrouver. Pour avoir déjà voyager seul 4 mois au Sénégal et 6 semaines au Cambodge, je trouve que c’est le meilleur moyen de se retrouver complètement : être seul face à de nouvelles personnes, sans aucune contrainte sociale antérieure, permet d’être le vrai soi. J’avais l’impression de m’être un peu égaré.

Pourquoi cet itinéraire et cette destination ? qu’y recherchais-tu ?
Au départ je voulais atteindre la Mongolie, découvrir le middle-east, effectuer un aller-retour au départ de Bruxelles et partir près d’un an. C’était les quatre balises de départ de mon voyage. Ensuite vient la question des visas pour voir ce qui est faisable ou pas. A cause de soucis en vue de l’obtention du visa Russe, je projetai enfin d'aller jusqu’au Kazakhstan et non en Mongolie. J’étais d’abord un peu déçu, puis je me suis rendu compte que l’important, c’était simplement d’être sur la route dans des pays inconnus, et que rouler jusqu’au Kazakhstan, c’était déjà pas si mal pour un premier voyage 😅. Enfin vient la question des climats : Je me suis renseigné pour ne pas passer en-dessous des 7-8 degrés de moyenne, afin que la conduite de la moto reste un plaisir. C’est pour cette raison que je suis resté trois mois en Iran : il faisait trop froid avant (Géorgie, Azerbaïdjan,...) et après (Turkménistan, Ouzbékistan, ...).

Combien de temps l’as-tu prépares-tu ? (administratifs, techniques,…).
J’ai passé une première année à préparer le voyage en rêvant et m’informant un peu vu que j’étais novice. Ensuite j’ai accéléré les préparatifs lors de la deuxième année : permis moto, achat de la Royal, cours de mécanique, travail dans un garage lors de mes temps libre, recherche de sponsors, planification de l’itinéraire et des visas, sélection du matériel, etc. J’ai aussi mis le plus d’argent de côté possible durant ces deux années.

Comment l’as-tu préparé (livres, internet ?)
Au niveau mécanique, j’ai suivi des cours d’apprenti mécanicien deux soirs par semaine. La formation est en trois ans, je n’ai suivi qu’une année afin d’avoir quelques bases. De plus, je suis enseignant, donc tous les mercredis après-midi et tous les samedis, j’ai travaillé comme stagiaire dans le garage Locotrans à Waterloo, le plus grand distributeur d’Enfield du Benelux, même si ça reste un garage familiale.

Quelles sont les difficultés et risques que tu avais recensés ?
Ma plus grande peur était le froid, qui m’empêcherait de profiter de mon voyage, ainsi que la sécurité en cas d’accident. J’ai donc sélectionné avec soin mon matériel pour cela: bottes adventure, chaussettes d’hiver, deux sous-pantalon dont un windstopper, t-shirt longue manche en laine mérino, pull wind stopper, un polard quelconque, un vrai bon polard Pantagonia, pantalon et veste adventure RST, survêtement de pluie, casque modulable Scorpion, manchons Tucano Urbano, gants d’été et d’hiver RST.

Comment envisageais-tu de régler les problèmes techniques (pannes) qui pourraient survenir ? (problème de pièce et d’isolement parfois).
Grâce à Locotrans et à mes cours de mécanique, je peux faire face à de petits problèmes mécaniques par moi-même (le plus fréquent : un rayon qui casse). Quand le problème dépasse les compétences, j’ai la chance d’être soutenu par Locotrans, et de pouvoir contacter le gérant, Marco, qui m’aide à diagnostiquer la panne et à y faire face si j’en suis incapable seul. Pour ce qui est des pièces, Marco m’a aidé à sélectionner celles dont je risquais d’avoir besoin. Néanmoins, je ne pouvais pas prendre avec moi une deuxième moto en pièces détachées. J’ai donc parfois dû trouver une pièce équivalente sur la route, ou alors en faire réparer. Enfin, j’ai eu la chance d’avoir quelques visites lors de mon voyage. J’ai profité de la venue de mes proches pour faire le ravitaillement de ce qui m’était nécessaire.

Les difficultés que tu avais pressenties se sont-elles réalisées ? Etait-ce aussi (ou plus) difficile que prévu ?
Pour ce qui est du froid, mon équipement m’a permis d’y faire face (enfin, le dernier test arrive dans les jours à venir : la route de Pamir, avec des cols jusqu’à 4600 m 🥶). Pour la sécurité, mon équipement m’a généralement protégé. Ma plus grosse chute en Slovénie m’a causé une double entorse de la cheville : mon pied s’est fait prendre par la moto, donc malgré la botte, ça a fait mal ! 10 jours de repos dans un camping pour récupérer.
Enfin, j’ai dû faire face à une difficulté dont on m’avait parlé mais à laquelle je ne prêtais pas vraiment attention : le poids de la moto. Il n’y a qu’en faisant l’expérience que je me suis rendu compte de l’handicap que c’était : plus de risque de casse (notamment les rayons) ainsi que de chute, surtout en off-road. J’ai donc dû alléger la moto en cours de route. Heureusement pour moi, je passais d’abord voir différents amis logeant en France, j’ai pu leur donné tout le superflu. J’ai suivi cette règle pour ma sélection : ne conserver que ce qui allait sûrement me servir, et balancer tout ce qui allait peut-être me servir. La nuance est fine mais bien utile.

Comment se sent-on seul sur sa Bullet, loin de nos repères et surtout parfois seul au milieu de nul part?
On s’y sent bien sur sa Bullet ! On est seul face à soi-même, et les idées vont et viennent. Je pense souvent à Tesson qui dit dans son livre Berezina (que je conseille à tous d’ailleurs) que le casque de moto, c’est un peu comme une bulle fermée dans lesquelles les idées tournent. Concernant la solitude, elle était très présente en Europe pour deux raisons : les premières semaines et mois sont forcément les plus durs : notre quotidien, nos habitudes et nos proches nous manquent. Et surtout c’est l’Europe : la plupart des gens ne pensent pas à aller vers l’autre, les contacts humains sont donc limités. De plus, mon anglais n’était pas terrible à ce moment, et j’étais en plein période de vacances scolaires, donc un touriste parmi d’autres. Enfin, en Europe le prix des logements et des campings sont souvent très chers. J’ai donc fait beaucoup de camping sauvage à ce moment. C’est cool l’idée de la moto et la tente en plein nature. Mais quand la seule phrase que tu as prononcée de ta journée était « hello, can i have a sandwich please ? », c’est tout de suite moins évident ! Mais cette solitude est vite passée avec le temps, et surtout en sortant d’Europe : les gens sont bien plus attirés par toi et les contacts sociaux sont bien plus spontanés.




As-tu vécu un vrai dépaysement ?
Étonnamment, on s’habitue très vite au dépaysement. Certaines scènes qui me marquaient me semblent tout à fait quotidiennes maintenant. Les moments où je me sens le plus dépaysé, c’est quand j’ai des nouvelles de la vie à Bruxelles, dont je me sens de moins en moins connecté et de plus en plus éloigné. Néanmoins, chaque jour amène toujours sont petit lot de perles ou de paysage à couper le souffle. Pour le moment, au Tadjikistan, j’en prends plein la vue et j’ai parfois la chair de poule en roulant.

Qu’est ce qui t’as surpris le plus (à ton sujet ou au sujet du voyage en général) ?
La bonté, la générosité et l’aide des gens sur la route. Je ne sais pas où ces valeurs ce sont envolées dans notre société, peut-être dans quelques billets ou dans un confort trop grand qui induit la peur de le perdre, et donc la peur de l’autre.
A ce propos, je réalise que j’apprécie vivre avec peu, moi qui d’ordinaire accumule les affaires. Trois t-shirts, trois slips, un moyen de locomotion et un toit sont suffisants ! J’espère conserver cet état d’esprit une fois de retour en Europe.
Je me surprends également à me dire qu’au final, le monde n’est pas si grand et que le connaître permet de revoir ses cadres de pensée. J’aime beaucoup cette phrase du rappeur Youssoupha, dans laquelle je me retrouve : « Quand on voyage, le monde devient plus petit alors il fait moins peur ».

As-tu eu peur pour ta sécurité ou du moins peur de ne pas y arriver ?
J’ai eu peur deux secondes lors de ma chute en Slovénie. Lors de la troisième seconde, je pensais déjà plus à la moto qu’à moi-même, réalisant que si elle était morte, mon voyage s’arrêtait déjà.
Au niveau de la sécurité, nos peurs ne sont que vaines. Avec nos pensées occidentales, nous voyons le danger partout, et les pays « exotiques » comme dangereux. Je prendrai l’exemple de l’Iran : sachant que j’y resterai trois mois, j’ai proposé à quelques amis de me rejoindre. L’un d’entre eux m’a répondu : « En Iran ? Tu es fou ? Je ne veux pas mourir ! ». Après trois mois dans ce pays, j’affirme sans aucun doute que c’est le pays le plus safe que j’ai traversé. J’étais bien plus inquiet pour ma moto en France, en Italie ou en Roumanie qu’en Iran. Les gens sont merveilleux, et viennent t’accoster pour te dire «Welcome to Iran », et puis il reparte sans rien demander. Pour ce qui est du terrorisme, il n’y en a pas spécialement plus qu’en Europe. Oui, il y en a de temps à autre, surtout dans quelques villes du sud. Mais vu la taille de l’Iran et la rareté de ces attentats, il faudrait vraiment un coup de malchance pour en être victime. C’est comme si je ne prenais plus le métro à Bruxelles depuis les attentats.


Parle-nous de tes contacts avec la population locale ? quelles réactions à ton passage?
Depuis la Turquie, les gens sont donc bien plus intéressés par moi et mon voyage. Ils me posent des questions sur la durée et la distance de mon voyage. Sur mon origine et ma religion. Beaucoup d’entre eux me font un signe de la main quand je les croise à moto ou affichent un grand sourire. De même, on me propose souvent de boire un thé (même parfois lors des checkpoint avec la police !), ou venir visiter une maison. Enfin, je ne compte plus le nombre de selfies auxquels j’ai dû me prêter!

En définitive, ce genre de voyage est-il accessible à tous et quelles sont les compétences et qualités requises pour le faire ? (rassure nous)
Définitivement : OUI ! Chacun peut ajuster son voyage afin qu’il lui convienne : au niveau de la durée, du logement, du nombre de pays, ... À ce propos, visiter un ou deux pays à fond peut être parfois plus agréable qu’enchaîner pays après pays. Cela permet de s’imprégner mieux de la culture et de comprendre le pays dans son ensemble. L’Iran où je suis resté trois mois est par exemple mon meilleur souvenir jusqu’à présent. Pour ce qui est des compétences, les plus importantes sont l’ouverture et le sourire. Avec ça, toutes les portes vous sont ouvertes. Vous ne savez pas régler un problème sur votre bécane ? Arrêtez un camion pour la charger et vous trouvez un mécano qui fera le taff. Vous êtes perdu, vous avez faim ou vous ne savez pas où dormir ? Demandez à un passant, il vous indiquera, vous guidera ou peut-être même vous invitera chez lui.

Ce voyage t’a-t-il donné envie d’un autre ? qu’as-tu appris ?
J’ai des milliers d’autres idées en tête ! Maintenant il faudra voir les possibilités. J’ai appris qu’on a trop tendance à dramatiser (moi le premier). A chaque problème sa solution. J’ai ré-appris à me connaître. J’ai ré-appris l’humanité.
Voilà un bel enseignement à tirer de ce fabuleux voyage. A l'entendre, le voyage déconstruit ce qui est ancré en nous et nous amène à reconstruire autre chose. Il faut vivre cet inconfort et sortir de son cadre habituel pour pouvoir l’expérimenter.
Gageons que ce baroudeur a déjà d'autres destinations en tête et que la moto sera son véhicule de prédilection! 

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